Ce samedi, Julie, Christine, Dominique, Arlette, Jean-Laurent, Longin, André et Sébastien (soit notre EAP au grand complet !) ont rejoint le majestueux site de l’abbaye de Notre-Dame de Bonne-Espérance à Vellereille-les-Brayeux (commune d’Estinnes) pour une journée de formation consacrée au thème de la synodalité.
Outre la présence de notre évêque Guy Harpigny, ce fut l’occasion d’écouter les libres propos d’Alphonse Borras, théologien belge et canoniste (spécialiste du droit canon, c.-à-d. l’ensemble des règles qui régissent la vie de l’Église et des fidèles – clercs et laïcs – en son sein ; fondé sur une adhésion volontaire, liée au baptême reçu, le droit canonique contemporain se comprend comme autant de « balises » fixant les responsabilités de chaque fidèle et délimitant la validité « formelle » des actes fondamentaux de la vie chrétienne ; le code de droit canonique – révisé en 1983 – regroupe 1752 « canons » – règles – en sept livres concernant la structure de l’Église, les sacrements, la juridiction, les sanctions et l’administration des biens *1).
(*1 GCF, Groupe des Canonistes Francophones de Belgique : https://www.droitcanonique.be/ )
Des carrefours ont été ensuite lancés afin de permettre d’échanger entre Unités Pastorales et de croiser nos réflexions : Monseigneur Coppola, nonce apostolique (c.-à-d. le représentant du pape auprès d’un État avec lequel le Saint-Siège entretient des relations diplomatiques, ou d’une institution internationale, telle l’Union européenne ; le nonce a également un rôle « interne » important à l’Église : lorsqu’un nouvel évêque doit être désigné pour un diocèse, c’est le nonce qui mène les consultations dans le pays où il est en poste, et qui transmet à Rome une liste de trois noms de prêtres « éligibles » à cette charge) n’a d’ailleurs pas hésité à y participer.
Ⓒhttps://www.facebook.com/diocese.tournai
Retrouvez ici une interview² du 16 juin 2022 pour mieux comprendre qui est Monseigneur Franco Coppola :
Nonce apostolique, Franco Coppola est le « diplomate du Pape » en Belgique. Son rôle est capital : il contribuera à nommer une génération de quatre nouveaux évêques. Il interroge aussi la question du financement des cultes: « rend-il l’Église vraiment libre ? »
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L’ambassadeur du Pape, qui entretient des relations aussi bien avec l’État (auprès duquel il défend la liberté religieuse) qu’avec l’Église locale, aura la lourde tâche, en moins de deux ans, de conseiller le Pape en vue de la nomination de quatre nouveaux évêques (devraient en effet partir à la retraite – si le Pape le permet – Mgr Hudsyn dans le Brabant wallon, le cardinal De Kesel à Malines-Bruxelles qui fête ses 75 ans ce 17 juin, Mgr Harpigny à Tournai et Mgr Warin à Namur). Pour le petit monde catholique du pays (qui compte 10 évêques), il s’agit d’un tournant majeur. En vue de chacune de ces nominations, le nonce recueille auprès de l’épiscopat en place, des prêtres, religieuses, religieux et laïcs, une quantité d’informations sur l’état des troupes, la situation du pays, des diocèses et de l’Église en leur sein. Une fois un tel dossier ficelé, le nonce l’envoie à Rome en plaçant en exergue trois premiers noms parmi lesquels François pourra choisir le futur évêque.
Entretien avec celui qui contribuera à esquisser le visage du catholicisme belge de demain.
On dit que les diplomates du Pape sont parmi les mieux informés du monde. Est-ce vrai ?
Le Vatican bénéficie en tout cas d’une très longue expérience en la matière : les premiers nonces datent de l’an mille. De plus, Rome ne défend aucun intérêt marchand, économique, politique – si ce n’est la liberté religieuse. Cela lui offre une position unique au sein de la diplomatie internationale. Enfin, il est vrai que lorsque j’arrive dans un pays, je bénéficie d’informations de première main que m’offrent les évêques, les prêtres, les religieuses et religieux, les laïcs disséminés à travers tout le pays. Cela ne veut pas dire pour autant que la diplomatie du Pape est toute-puissante.
Vous dites avoir vu des « miracles » en tant que nonce. Que voulez-vous dire ?
Oui, j’ai été le témoin d’événements extraordinaires dans chacune des missions que j’ai effectuées. Je ne sais d’ailleurs pas si j’ai réussi une seule de ces missions, mais je constate qu’à travers elles, Dieu m’a amené à effectuer un voyage vers lui, et a permis à ma foi de grandir. En janvier 1995, je suis arrivé au Burundi en tant que secrétaire du nonce. Le pays était déchiré par le génocide. À la nonciature, nous connaissions une fille de 12 ans dont toute la famille avait été massacrée et que nous avons décidé d’aider pour qu’elle puisse trouver un logement et effectuer des études. Six mois après le drame, les commanditaires ont été appréhendés et jetés en prison. À l’époque, au Burundi, les détenus ne recevaient rien à manger. C’était leur famille qui devait se charger de leur apporter de la nourriture. Quand cette petite fille a su que les tueurs de sa famille étaient en prison, elle a décidé de leur apporter un peu de sa nourriture, chaque samedi. Cela m’a profondément ému. Nous lui avons demandé pourquoi elle faisait cela, et elle nous a simplement répondu que Jésus demandait d’aimer ses ennemis. Son amour pour Jésus fut donc plus fort que la soif de vengeance, la douleur et la haine. Voici un miracle véritable qui s’est joué dans le cœur de cette jeune femme.
En novembre 2015, nonce en Centrafrique, vous avez dû organiser la venue du Pape alors qu’il n’y avait aucune force régulière pour assurer la sécurité du voyage. Quels souvenirs en gardez-vous ?
Le Pape voulait absolument ouvrir à Bangui l’année du « Jubilé de la miséricorde » qu’il instituait pour l’Église universelle. Ouvrir un tel jubilé, non à Rome, mais en Afrique, dans un pays miné par les conflits entre milices prétendument musulmanes et chrétiennes était un symbole très fort. Tout le monde (dont des pays occidentaux qui profitaient de l’instabilité et redoutaient l’arrivée de journalistes) s’opposait à la venue du Pape. Les capitales ont aligné tous les arguments pour l’en dissuader, évoquant des risques d’attentats ou des risques pour sa sécurité, mais François a tenu bon. Nous avons bénéficié d’une petite protection de l’Onu, le Pape a rencontré les chrétiens et les musulmans, et tout s’est finalement miraculeusement bien déroulé dans des situations parfois inédites. Je me souviens des grosses voitures américaines prêtées par le secrétaire général de l’Onu pour accompagner le Pape, au milieu desquelles slalomaient par dizaines les mobylettes des Centrafricains, cherchant à saluer François. Je retiens entre autres une histoire. Il nous était impossible de trouver des écrans géants. Il n’en existait pas en Centrafrique, et aucun État ne voulait en prêter. Une société italienne en a finalement proposé pour 90 000 euros. Il nous était malheureusement impossible de trouver une telle somme. Alors que nous en parlions à la présidente du pays Catherine Samba-Panza, elle nous expliqua qu’elle avait reçu le matin même une enveloppe de son confrère de Guinée pour l’aider à accueillir le Pape. Et qu’y avait-il dans cette enveloppe ? 90 000 euros. C’est un miracle comme on en voit dans les livres. J’ai touché du doigt le fait que Dieu agit dans l’histoire, tout en laissant l’homme libre de ses décisions.
Vous voici en Belgique, avec ses églises vides et sa crise des vocations. La Belgique inquiète-t-elle le Vatican ?
Je suis présent depuis quatre mois, je constate la difficulté qu’a l’Église de transmettre la foi, et le fait que les Belges ne semblent pas (je dis bien semblent) avoir besoin du catholicisme pour vivre. Je ne voudrais cependant pas souligner des causes ou des conclusions trop hâtives.
Vous avez été dans des pays où l’Église n’était pas reconnue par l’État. En Belgique, celui-ci la finance. Est-ce un modèle à revoir, alors que les Belges semblent ne plus avoir besoin du catholicisme ? Est-ce que cette situation rend l’Église suffisamment libre ?
C’est une question délicate et je souhaite rester prudent, mais je ne suis pas certain que cela la rende très libre. Je vous confie une réflexion. Dans la Bible, lorsque le petit David doit affronter le géant Goliath, le roi Saül lui offre son armure. David la prend avant de la retirer : elle lui assure une belle protection, mais elle est trop lourde pour lui, le bloque et entrave ses mouvements. Il préfère s’armer de sa seule fronde.
Que voulez-vous dire ? Que les catholiques devraient se départir de toute armure financière pour être plus audacieux et plus libres de secouer l’époque contemporaine ?
Les moyens financiers sont une garantie, mais ils sont aussi un poids et une tentation : celle de l’autosuffisance. Or, l’Église doit vivre et avancer en faisant confiance en Dieu, pas en se reposant uniquement sur des garanties financières. J’aime beaucoup une phrase d’un ancien archevêque de Paris qui disait que l’Église doit vivre d’une façon qu’on ne peut pas expliquer, sinon par la foi. Elle doit donc se jeter à l’eau, comme l’apôtre Pierre dans l’Évangile qui veut rejoindre Jésus qui marche sur les eaux. Si elle ne regarde que les dangers et les risques qu’elle prend en se jetant à l’eau, elle coulera. Si elle garde les yeux rivés sur Jésus, elle avancera.
J’ajoute également un point suite à votre question. Les catholiques ne doivent pas être dans une position frontale face à l’époque dans laquelle ils vivent. Lorsqu’il rencontre les pèlerins d’Emmaüs qui ne croient pas en sa résurrection, Jésus « fait route avec eux » pour discuter et les comprendre davantage. Voilà l’attitude de l’Église, elle doit se faire compagnon de route, comprendre les problèmes, les défis et la fatigue de nos contemporains. Vous savez, quelque chose me marque en Belgique. Tout y est bien organisé par rapport à des pays d’Afrique ou d’Amérique du Sud que j’ai pu connaître. L’aisance matérielle y est réelle pour de nombreuses personnes, l’entraide est développée… Une chose m’interroge cependant : pourquoi tant de personnes y recourent-elles à l’euthanasie ? Ce n’est pas un jugement, mais une vraie question pour moi, et qui affleure comme une note étrange dans le beau tableau que la Belgique offre à voir. Je crois que sans donner une réponse, l’Église doit se faire compagnon de route du pays dans lequel elle est, et chercher à comprendre : pourquoi cela ?
Bio express
Franco Coppola est né le 31 mars 1957 à Maglie, en Italie. Docteur en droit canonique, ordonné prêtre en 1981, il est entré dans le service diplomatique du Saint-Siège en juillet 1993, précisait en novembre dernier le site de Cathobel. En poste au sein de missions diplomatiques au Liban, au Burundi, en Colombie et en Pologne, il est devenu nonce (« diplomate du Pape ») en 2009. Il fut alors successivement en poste au Burundi, en République centrafricaine, au Tchad et au Mexique, avant d’arriver en Belgique (et au Luxembourg) en janvier de cette année.
Commentaire
Fort de son expérience dans des pays où il a côtoyé les périphéries de l’humanité, le regard que Franco Coppola portera sur notre pays sera d’autant plus intéressant. Pour l’heure, les paroles qu’il pose sur la Belgique et son Église sont prudentes (« Je ne suis là que depuis quelques mois« ), amicales (« Quand je m’approche pour traverser la route, c’est la première fois que je vois des voitures qui ralentissent spontanément ; cela me fascine ») et se veulent précises : Mgr Coppola ne ménage pas ses efforts pour multiplier les rencontres.
Le rôle qu’il tiendra en contribuant à nommer une nouvelle génération d’évêques sera déterminant pour l’Église en Belgique. À bout de souffle, au pied de questions gigantesques, celle-ci a bien compris qu’elle ne vivait plus une époque de changements, mais un changement d’époque – comme aime dire le Pape.
En interrogeant ici la liberté de l’Église au regard du financement des cultes par l’État, Franco Coppola ne cherche pas à jeter l’argent par les fenêtres ; il connaît les enjeux que porte cette question (et qui seront abordés dans nos pages de vendredi matin). Cette parole n’en est pas moins intéressante. Face à un avenir incertain qui peut en inquiéter plus d’un, il place les croyants sur le terrain spirituel et les encourage à un examen de conscience. Sur quoi appuient-ils avant tout leur espérance ? Sur des assurances institutionnelles ou sur celui en qui ils croient ? Jusqu’à quel point les garanties financières sont-elles au service de leur foi ? Et quand deviennent-elles une préoccupation qui entraverait celle-ci ?
Source² : https://www.lalibre.be/debats/opinions/2022/06/16/